29 juin 2021 Commentaires fermés

La French Tech racontée par ses ministres

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Créée officiellement en 2013, la French Tech n’était alors qu’un mouvement destiné à rassembler les start-up françaises. De l’adolescente à l’adulte responsable, retour sur son histoire, avec les témoignages de ceux qui ont contribué à la façonner : Fleur Pellerin, Axelle Lemaire, Mounir Mahjoubi et Cédric O, les ministres du Numérique de la dernière décennie.

Il était une fois la French Tech… qui aurait pu s’appeler « quartiers numériques », sourit encore Fleur Pellerin. « Très français, imprononçable pour des Américains ou des Chinois », souligne aujourd’hui l’intéressée qui, alors ministre déléguée au Numérique sous François Hollande, a lancé en novembre 2013 ce mouvement des start-up françaises, destiné à les promouvoir, les fédérer et les faire rayonner à l’international. L’expression, devenue un label et même une marque, n’est pas des plus originales et n’avait pas alors manqué de faire bondir les plus fervents défenseurs de la langue de Molière. Mais « French Tech, c’est facile et ça claque », estime sa créatrice.

Il fallait ensuite une mascotte. Ce sera un petit coq rouge – en origami pour éviter de paraître trop arrogant. Sans oublier un bras armé pour investir dans ce qui allait devenir un écosystème : bpifrance, lancée dès fin 2012, accompagne toujours le financement et la croissance des jeunes pousses.

« Donner confiance aux acteurs »

« On n’a pas inventé la tech française, elle existait d’elle-même. Mais le fait de la nommer a permis de donner confiance aux acteurs. En l’institutionnalisant, on avait peur que la French Tech ne devienne trop verticale et administrative, mais chacun a réussi à se l’approprier et à la faire vivre », confie Fleur Pellerin. C’est le temps des grands chantiers, où tout est à bâtir.

Une décennie plus tard, la French Tech a bien grandi. Les jeunes pousses tricolores battent des records de financements avec 5,4 milliards d’euros de fonds levés en 2020 - contre 1,8 milliard en 2015 – se hissant à la deuxième place européenne. L’attractivité de la France n’est plus questionnée. Le pays affiche, à date, quatorze licornes, ces start-up valorisées à plus de 1 milliard de dollars (contre une trentaine à Londres, une quinzaine à Berlin). Les diplômés d’écoles de commerce, même si tous ne concrétisent pas cette aspiration, rêvent plus d’entrepreneuriat que de banque ou de conseil.

Surtout, la French Tech peut se targuer de quelques belles réussites : la licorne Doctolib, fer de lance de la vaccination, a également révolutionné notre façon de consommer la médecine avec l’explosion de la téléconsultation. Avant elle, BlaBlaCar avec le covoiturage, Deezer dans la musique, Back Market dans l’économie circulaire, Too Good to Go ou Yuka dans l’alimentation. Et bien d’autres encore, notamment dans des secteurs plus BtoB. Un travail amorcé sous François Hollande avec Fleur Pellerin, continué par Axelle Lemaire, puis sous Emmanuel Macron avec Mounir Mahjoubi et, enfin, Cédric O, l’actuel secrétaire d’Etat au Numérique, qui s’estime sans détour être « le plus chanceux ».

La « révolte des Pigeons » et la fiscalité

Pourtant, c’est peu dire que les pionniers ont dû se démener. En interne, Fleur Pellerin avait tendance à être perçue comme un hurluberlu au sein de son gouvernement. Un mal pour un bien, précise l’ancienne ministre, qui a eu un champ d’action finalement très libre, notamment sur le volet de la fiscalité en créant le crédit d’impôt recherche ou encore en lançant une réforme du financement participatif. Autant de nouveaux leviers à actionner pour accélérer le financement de l’innovation. Des dispositifs banalisés aujourd’hui, mais novateurs à l’époque. La deuxième mesure met par exemple fin au monopole qu’exerçaient les banques sur le prêt rémunéré.

Une petite révolution qui ne se fait pas sans peine. La jeune ministre de l’époque a aussi dû faire face à la « révolte des Pigeons ». Derrière ce nom d’oiseau, des entrepreneurs et capital-risqueurs français avec comme chef de file Jean-David Chamboredon. L’objet des griefs : la loi de finances de 2013 portée par le gouvernement et en particulier la taxation des plus-values de cession, susceptible « d’anéantir l’esprit d’entreprendre » et les start-up. En quelques mois, le mouvement fédère 75.000 entrepreneurs en colère et la presse s’en émeut. « François Hollande m’a dit : ’Règle-moi ce problème.’ Personne ne voulait s’en mêler, tout le monde voyait que c’était un nid à ennuis », se souvient Fleur Pellerin, alors envoyée au casse-pipe.

Dans la foulée, elle lance les premières Assises de l’entrepreneuriat, et l’Etat annonce des « aménagements » de la réforme fiscale, qui finissent par convenir aux entrepreneurs. Du mouvement des Pigeons naîtra France Digitale, la plus grande association française dans la tech, réunissant aujourd’hui plus de 2.000 investisseurs et entrepreneurs. Lors de son départ, l’ex-ministre jouira d’un bel hommage sur Twitter de la part des contestataires avec une pluie de #keepfleur, quand sa successeure goûtera à un joyeux #welcomeaxelle.

L’affaire Dailymotion abîme l’image de la France

Une fois les problèmes « internes » réglés, c’est le moment de briller à l’extérieur. En 2014, la première délégation de la French Tech participe, soudée, au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, avec le Medef en appui. C’est l’amorce d’une reconnaissance internationale de la « French Touch » et des premiers articles dans la presse étrangère. Objectif : prouver que la France est aussi une terre d’entrepreneuriat, en vue d’attirer les investisseurs étrangers. Et c’est peu dire qu’il y a du boulot !

Une affaire a fait, quelque mois plus tôt, beaucoup de mal à l’image de la France : Dailymotion, éclipsé depuis par YouTube. Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, avait interféré pour empêcher la prise de participation majoritaire de l’américain Yahoo! au capital de l’entreprise française. « Un fiasco », s’étaient émus les commentateurs de l’époque, qui montrait selon eux la France comme un Etat imprévisible, régulateur et interventionniste. De quoi effrayer les moins républicains des Américains. « Cela avait fait grand bruit dans la Silicon Valley. J’ai passé beaucoup de temps aux Etats-Unis et en Asie à expliquer, à faire la promotion de l’attractivité de la France pour les investisseurs. On a beaucoup ramé pour atténuer et mitiger les conséquences de cette affaire », se souvient Fleur Pellerin, aujourd’hui à la tête de Korelya Capital, son fonds d’investissement. Et de nuancer : « Avec le recul, ces sujets de souveraineté économique étaient-ils autant à côté de la plaque que cela ? Récemment, le gouvernement n’est-il pas intervenu pour empêcher l’acquisition de Carrefour par le groupe québécois Couche-Tard ? »

Sur le front international, c’est à Axelle Lemaire qu’on doit aussi une bonne partie du travail de promotion. Cette ministre franco-canadienne, qui a repris le flambeau de Fleur Pellerin au pied levé en 2014, pendant que cette dernière partait au Commerce extérieur, s’est assurée de « la mise en orbite de la French Tech »« Le travail de l’ombre était chronophage : il fallait faire reconnaître le programme, gagner les arbitrages », se souvient-elle. Aux manettes, un cabinet aux couleurs très start-up : au départ, peu de hauts fonctionnaires mais des entrepreneurs, une avocate, un spécialiste de la protection des données personnelles… « Le secrétaire d’Etat général du gouvernement nous appelait à l’époque ’l'alliance des geeks et du Gosplan’ », sourit l’ancienne ministre, qui fait référence à l’organisme de l’Union soviétique chargé de la planification économique.

La French Tech à tous les étages

Elle fait alors la tournée des grands événements tech mondiaux, des Etats-Unis, à l’Asie en passant par l’Afrique. A New York, elle lance le festival de la French Tech et la French Touch Conference avec France Digitale pour faire connaître les pépites hexagonales. Et montrer qu’il existe un génie français, au-delà de la nation d’ingénieurs. « Il fallait changer une perception caricaturale disant qu’il n’était pas possible de créer son entreprise en France, mais il y avait aussi une forme de paresse de la part des investisseurs américains : tous domiciliés dans la même zone, avec peu de curiosité à l’égard des innovations en dehors de chez eux », estime Axelle Lemaire, qui lance en 2015 le French Tech Ticket, puis le French Tech Visa en 2017, un programme d’incubation qui facilite l’insertion des entrepreneurs et des talents étrangers en France.

Mais bientôt, c’est l’inverse qui dérange : les jeunes pousses d’origine française comme Dataiku, Datadog ou encore Snowflake Inc., dès qu’elles avaient un important investisseur américain, prenaient la poudre d’escampette outre-Atlantique et créaient de la valeur ailleurs. « C’était l’une de mes grandes inquiétudes. Une année, je rencontrais une start-up pour parler de ses projets de croissance, l’instant d’après elle avait installé son siège dans le Delaware à la demande des investisseurs », poursuit l’ancienne secrétaire d’Etat, avec une autre question sous-jacente qui commence sérieusement à se poser : les start-up sont créatrices d’emploi, mais les talents continuent de manquer à l’appel. La jeune femme lance alors la Grande Ecole du numérique, un groupement d’intérêt public et un label pour répondre à la demande croissante de compétences dans ce secteur, tout en utilisant le numérique comme un levier d’insertion professionnelle.

Fait rare dans le monde, la French Tech est donc portée par l’Etat lui-même et devient même un outil pour dynamiser les territoires, notamment au travers de la labellisation des métropoles « French Tech ». Celles-ci ont permis de créer des réseaux en région. Aujourd’hui, le territoire compte 13 capitales labellisées, 38 communautés French Tech en France et 48 implantées dans près de 100 villes à travers le monde. Le tout, avec une gouvernance partagée avec les entrepreneurs. « Ce qui n’était pas une démarche habituelle pour l’Etat », souligne l’ex-ministre.

Sans oublier Station F, le plus grand incubateur de start-up du monde, qui a certes ouvert en 2017, mais dont les négociations se sont amorcées bien plus tôt entre Xavier Niel et la secrétaire d’Etat au Numérique, pour y accueillir la mission French Tech et sa trentaine d’administrations dans un espace de 1.000 m² au sein de l’incubateur. « Il a fallu des années pour marier l’écosystème à l’action publique. L’idée que les services publics s’adossent aux start-up pour répondre à leurs questions sociales, fiscales, relatives à leur utilisation des données était encore très nouvelle », se souvient Axelle Lemaire. A son actif, on peut également mentionner la loi pour une République numérique, aussi appelée « loi Lemaire », qui lance une politique d’ouverture des données. C’est d’ailleurs la seule des quatre ministres du Numérique à voir son nom accolé à une loi.

La « start-up nation », nouvel enjeu politique

Dans l’ombre, les relations tendues avec son ministre de tutelle, un certain Emmanuel Macron, qui a élu domicile à Bercy quelques mois après l’arrivée de l’ancienne députée des Français à l’étranger au gouvernement, ne sont un secret pour personne. Ce dernier veut reprendre la main sur la French Tech et le volet économique du numérique, avec l’annonce d’une « loi Macron 2 », qui n’aboutira finalement pas. La presse dit même alors que le jeune ministre aurait tenté, en vain, d’évincer sa secrétaire d’Etat .

« Le point d’inflexion, c’est le CES de 2016, quand la France est la deuxième délégation la plus nombreuse [190 start-up, juste derrière les Etats-Unis] et on se rend compte que les Français ont fait quelque chose », remarque Cédric O, l’actuel secrétaire d’Etat au Numérique. Cette même année, Emmanuel Macron fait justement le déplacement à Las Vegas pour soutenir les start-up françaises.

En 2017, la French Tech prend un tournant clairement politique. Désormais candidat officiel, le futur président de la République porte les jeunes pousses jusqu’aux portes de l’Elysée et fait de la « start-up nation » un argument de campagne. Une expression dont on doit la paternité à l’Etat d’Israël. Même si, en France, Fleur Pellerin évoquait dès les débuts la nécessité de faire éclore une « start-up république » : « L’objectif était de mettre les sujets des start-up et du digital dans le débat public. Il fallait instituer des dimensions sociétales et pas qu’économiques », se souvient-elle.

« Le concept de start-up nation a été dévoyé, on a été caricaturé en étant les chantres d’une start-up nation qu’on aurait voulu généraliser à tout le monde, défend Mounir Mahjoubi, qui a pris les rênes du secrétariat d’Etat au Numérique en 2017, sous la nouvelle présidence. Je voulais que la transformation numérique de l’Etat s’inspire de la French Tech dans sa méthode, sa façon d’agir vite et son agilité. Je voulais aussi m’assurer que l’Etat était bien au service des start-up pour croître rapidement et ouvrir le bassin de diversité. » Retour aux fondamentaux !

Diversité, le talon d’Achille

La croissance mais aussi l’inclusion, voilà les deux principaux chantiers auxquels Mounir Mahjoubi devait s’atteler, ne serait-ce que pour répondre aux critiques montantes. « Quand je suis arrivé, les fondations de la French Tech avaient été parfaitement construites », souligne, bon joueur, cet ancien serial entrepreneur, qui a cocréé La Ruche qui dit Oui !. A ce moment-là, la French Tech commence à reconnaître qu’à la tête des start-up on trouve majoritairement des jeunes hommes, parisiens, blancs, diplômés de grandes écoles. En 2017, selon l’Observatoire des start-up de la French Tech, 71 % des entrepreneurs ont fait une grande école de commerce ou d’ingénieurs.

Comment infuser un esprit start-up à la nation et révolutionner le quotidien des Français quand les acteurs ne sont pas à leur image ?« Sans les femmes, sans les classes populaires, on se prive de la moitié des idées. Ce sont des personnes qui ont autant d’atouts que les autres, mais qui ne sont pas formées pour les mettre en oeuvre », souligne l’ancien ministre, aujourd’hui député de Paris. Ou qui n’ont pas les reins assez solides pour prendre ce type de risques.

Il met alors en place le programme French Tech Diversité fin 2017, commencé par sa prédécesseure et devenu le French Tech Tremplin en 2019, sous Cédric O. Le programme a connu quelques pivots, mais l’objectif reste le même : favoriser l’inclusion dans la tech et pousser d’autres profils à entreprendre, avec aujourd’hui un budget de 15 millions d’euros sur deux ans, contre 2 millions d’euros en 2017.

source:  start.lesechos.fr

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