2 juin 2020 Commentaires fermés

Smart city : Google ne construira pas sa ville intelligente à Toronto

Dan Doctoroff de Sidewalk Labs

 

Le géant américain des technologies promettait de faire de Toronto, au Canada, un centre mondial de l’innovation urbaine en bâtissant une « smart city » sur une friche industrielle. Mais le projet vient d’être abandonné

 

Il est devenu trop difficile de rendre le projet de 5 hectares viable financièrement sans sacrifier des éléments essentiels du plan, a expliqué Daniel Doctoroff, le PDG de Sidewalk Labs, société filiale comme Google d’Alphabet, dans un communiqué rapporté par l’AFP et Le Monde diffusé le jeudi 7 mai 2020. Après de longues délibérations, nous avons conclu qu’il n’était plus logique de continuer le projet ». Le projet de smartcity sise à Toronto a donc fait long feu. Quel était-il ? Pourquoi la polémique, dès l’annonce de cette intrusion du géant du numérique dans l’urbanisme ? Les réponses dans cet article de Sciences et Avenir initialement publié dans le numéro de mars 2020.

D’un côté, le grand Toronto (Canada), une aire urbaine d’environ 6000 km² et 7 millions d’habitants. De l’autre, le lac Ontario, immense étendue d’eau, l’un des cinq grands lacs d’Amérique du Nord. Entre ces deux géants, Quayside, une friche de béton d’à peine 4,8 hectares sur laquelle un autre colosse tente de se faire une petite place.

C’est effectivement sur cette zone portuaire désaffectée, que Google envisage dans les prochains mois de lancer la construction de sa première  » smart city « , une ville intelligente truffée de capteurs et d’algorithmes… Enfin, si tout se passe bien.

Car si le projet de la firme de Mountain View (États-Unis) a, dans un premier temps, séduit, il a vite viré au cauchemar, dévoilant un projet de ville plus surveillée qu’intelligente.

 

Pour comprendre comment ce projet d’aménagement s’est transformé en une gigantesque machine à collecter les données, il faut revenir à sa genèse. En octobre 2017, Sidewalk Labs, société sœur de Google, filiale comme elle d’Alphabet, remporte l’appel d’offres pour l’aménagement de Quayside.

L’initiative a été lancée par Waterfront Toronto, un organisme public chargé de  » revitaliser les rives de la ville  » marquées par leur passé industriel.

Si l’entreprise américaine a gagné la compétition, c’est parce que son projet est alléchant. Il promet de faire de Toronto un centre mondial de l’innovation urbaine, entre bien-être, développement durable, technologies de pointe et croissance économique.

Une organisation dynamique de la rue et des mobilités

Au menu, un déploiement impressionnant de technologies conformes au concept de smart city :  » Une ville qui a recours à l’utilisation massive des nouvelles technologies et des données qu’elles collectent pour améliorer les services existants et en créer de nouveaux « , rappelle Cécile Maisonneuve, présidente de la Fabrique de la cité, un think tank dédié à la prospective urbaine.

Ainsi, Sidewalk Labs propose la mise en œuvre d’une organisation dynamique de la rue et des mobilités avec, entre autres, un système de gestion en temps réel du trafic. Ce dernier analyse tous les déplacements et coordonne en continu la signalétique, les feux, l’utilisation des voies, les passages piétons, etc.

Le système est alimenté par toutes sortes de données provenant de caméras qui scrutent les rues, jusqu’aux capteurs qui détectent la position, le nombre et la vitesse des cyclistes en passant par la localisation des véhicules équipés de GPS, etc.

À terme, viendront s’insérer des flottes de voitures autonomes en libre-service, elles-mêmes pourvoyeuses d’une grande masse de données captées dans leur environnement direct. Afin de favoriser les déplacements à pied et à vélo durant l’hiver, les trottoirs et les pistes cyclables seront dégelés.

Ce dispositif est bien sûr connecté en temps réel avec les prévisions météorologiques afin d’anticiper l’arrivée d’une tempête.

 

Les bâtiments n’échappent pas à la supervision numérique : analyse du bruit, de l’air, détection de polluants, gestion automatique du chauffage en fonction du taux d’occupation et de la météo, etc. Même la logistique et l’élimination des déchets passent sous contrôle des algorithmes (voir l’infographie ci-dessus). Les livraisons du dernier kilomètre seraient assurées depuis un hub (plate-forme) vers tous les logements par un réseau de tunnels. Les marchandises seraient placées dans des conteneurs intelligents transportés sur des chariots électriques autonomes.

Même les déchets seront évacués par ce hub où ils arriveront par trois sortes de tubes pneumatiques (déchets organiques, matières recyclables, autres déchets) reliés aux habitations.

Difficile pour une ville de résister à une telle offre de services. Et ce n’est là qu’un échantillon.

Problème : les 1500 pages du document MIDP (Master Innovation and Development Plan) rédigé par Sidewalk Labs comportaient aussi quelques surprises de taille. Le projet ne se limitait plus aux 4,8 ha de Quayside prévus par l’appel d’offres mais s’étendait sur 77 ha. Le site est baptisé IDEA district (District de l’accélération de l’innovation, du design et de l’économie), sur lequel 4,6 ha sont réservés à l’installation du nouveau siège de Google Canada ! La firme se réserve aussi le développement immobilier de Quayside et du quartier voisin de Villiers Ouest. Toronto prend alors des allures de Google City.

Mais l’appétit de la compagnie pour le foncier n’est pas ce qui a le plus inquiété Waterfront Toronto et la population. Le MIDP introduit deux notions nouvelles sur les données : l’ » urban data  » et le  » data trust « .  » La première englobe toutes les données recueillies dans le milieu urbain. Elle gomme la distinction entre données protégées, comme les données personnelles, et non protégées, comme celles sur la qualité de l’air, le bruit, etc. Quant au data trust, c’est une sorte d’instance nouvelle dotée d’un pouvoir sur l’usage des données. Or, il existe déjà des lois qui régissent leur collecte et leur utilisation « , explique Chantal Bernier, ancienne présidente du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, équivalent de la Cnil française. Pour cette avocate spécialiste de la cybersécurité et de la protection de la vie privée, la proposition de Sidewalk Labs est une tentative d’abaissement des normes canadiennes.

Une initiative qu’analyse Cécile Maisonneuve :  » Google est venu se positionner en aménageur urbain. Il a besoin de données. Il crée les concepts d’urban data et de data trust pour les réguler. Mais ces concepts n’ayant aucun fondement juridique, ça coince.

C’est emblématique du nouveau débat qui anime le développement des smart cities, qui ne tourne plus autour des technologies, mais des données et de leur usage. Le sujet est particulièrement sensible avec l’utilisation de la reconnaissance faciale dans l’espace public. On passe de la ville optimisée à la ville surveillée. « 

Pour Raphaël Languillon, spécialiste de l’aménagement urbain à l’université de Genève, le problème du développement des smart cities tient à un rapport déséquilibré entre l’acteur public (la ville) et l’acteur privé (l’entreprise) :  » Le cas de Toronto est celui d’un partenariat entre une municipalité ayant peu de moyens et une entreprise bien dotée en ressources financières et en compétences. La clé, c’est le contrat. La ville doit établir un contrat qui anticipe ses besoins et lui permette de ne pas être dépendante d’un partenaire privé, voire de pouvoir s’en séparer. Mais il lui faut des ressources juridiques importantes. « 

Capter de la donnée pour créer de la valeur

Un point de vue que partage Carlos Moreno, directeur scientifique de la chaire ETI (Entrepreneuriat, territoire, innovation) à l’université Paris-I :  » La problématique de Google est de capter de la donnée afin de créer de la valeur car c’est la plus grande plate-forme de publicité. Mais Toronto n’a pas accepté. Les villes ne se laissent plus faire quand la gouvernance est solide. « 

Dans les prochaines semaines, Waterfront Toronto doit rendre publique sa décision de s’engager ou non avec Sidewalk Labs. En signe d’apaisement, la firme américaine a déjà renoncé à s’étendre au-delà de Quayside. Elle a aussi abandonné ses concepts d’urban data et de data trust. En mai 2019, dans une tribune du New York Times, Sundar Pichai, le P-DG d’Alphabet, maison mère de Google et de Sidewalk Labs, déclarait :  » La vie privée ne doit pas être un bien de luxe.  » Un propos qu’il répétait le 22 janvier au forum économique mondial de Davos. Toute la question est de savoir s’il est sincère…
 

SERVICES
Une logistique optimisée
C’est l’un des volets du projet : un service logistique qui assure les livraisons du dernier kilomètre, collecte les déchets et propose la location de matériels. Ce service permet de supprimer la circulation des véhicules de livraison et camions poubelles.
Les livraisons sont rassemblées dans un lieu unique (hub) et préparées pour être transportées via un réseau souterrain de tunnels relié aux bâtiments.
Les déchets triés sont envoyés au niveau du hub logistique au moyen de tubes pneumatiques.
Les marchandises sont placées dans des conteneurs intelligents suivis en permanence et transportés par des chariots électriques autonomes qui livrent logements et bureaux aux heures souhaitées. L’ouverture des conteneurs est sécurisée par un code que seul le destinataire connaît.
Le hub sert aussi de cave pour stocker, dans les conteneurs intelligents, les affaires qui n’ont pas besoin de rester dans l’appartement (par exemple, les affaires d’hiver en été). Pour éviter l’achat de matériels dont l’usage est très ponctuel (outils, sono, sapin de Noël, etc.) un service de location est disponible. Les commandes sont livrées sur demande par les chariots autonomes.

EXPÉRIMENTATION


Un prototype de ville du futur au pied du mont Fuji

Un laboratoire vivant, à l’échelle d’une ville. Voilà la vision de Toyota pour sa Woven City, dont le projet a été dévoilé en janvier à l’occasion du CES (salon de l’innovation en électronique grand public) de Las Vegas (États- Unis). Le géant japonais de l’automobile prévoit de construire au pied du mont Fuji (Japon), un  » prototype de ville du futur « . Résidents et chercheurs pourront y tester et développer toutes sortes de technologies : des robots assistants, des maisons intelligentes, des capteurs corporels pour suivre la santé des personnes, etc.

Bien sûr, un constructeur automobile ne peut pas faire l’impasse sur les voitures, mais seuls des véhicules autonomes électriques seront autorisés à circuler sur les grands axes. Habitants, bâtiments et véhicules seront interconnectés et pourront ainsi communiquer et s’échanger des données, assure Toyota dans son communiqué de presse.

 

Enfin, Woven City s’annonce écologique : son énergie proviendra de panneaux solaires et de piles à combustible dont l’hydrogène sera produit à partir de sources renouvelables. La construction doit commencer en 2021. La ville pourra accueillir 2000 personnes sur environ 70 hectares. Reste à savoir si son empilement de technologies attirera au-delà des geeks.

 

 

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/google-city-une-ville-intelligente-sous-haute-surveillance_141971

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